INTERVIEW - STÉPHANE LACROIX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'HOTEL JEROME, AUBERGE RESORT COLLECTION, ASPEN : « L'EXPATRIATION FORGE LA RÉSILIENCE, DÉVELOPPE L'AGILITÉ CULTURELLE ET L'INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE » (United States)
En prenant les rênes de l'Hotel Jerome, Stéphane Lacroix relève un défi d'envergure et fait résonner le savoir-faire français à la tête d'un établissement emblématique d'Aspen, la station de sports d'hiver chic du Colorado.Category: North America & West Indies / Carribean islands - United States - Appointments Career - Interviews
Interview made by Guillaume Chollier on 2025-09-17
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 Depuis mai 2024, Stéphane Lacroix est General Manager à l'Hotel Jerome Stéphane Lacroix est un homme heureux. Et pour cause : cet Auvergnat pure souche concilie depuis trente ans sa passion pour l’hospitalité, la sommellerie et les États-Unis. Originaire du Puy-de-Dôme, « une région fière de son héritage Michelin, de ses fromages de caractère et, plus récemment, de ses vignobles en pleine renaissance », ce Clermontois débute son parcours au Lycée Hôtelier du Puy-en-Velay, avant d’enchainer avec un BTH à l’École Hôtelière de Chamalières. Une spécialisation en sommellerie à Tain-l’Hermitage, au cœur de la vallée du Rhône, complète enfin sa formation, qui lui ouvre les portes du secteur de la restauration gastronomique.
C’est tout d’abord chez Henri Sauvanet à La Ferme de Mougins qu’il fait ses armes avant de gagner le Restaurant Clavé et le Moulin de Mougins, où il officie au côté de Roger Vergé, entre 1989 et 1990. Direction ensuite la Principauté de Monaco et le Louis XV d'Alain Ducasse à Monte-Carlo, où il officie comme assistant sommelier.
Au cours de son service militaire, où il est affecté au Cercle National des Armées à Paris, il travaille également au Ritz, place Vendôme, au poste de Food & Beverage Attendant. L’année 1994 marque un tournant dans sa carrière. Stéphane Lacroix rejoint, en tant que sommelier, le chef Jean-Louis Palladin au Watergate Hotel à Washington DC, puis Alain Rondelli à San Francisco. Enfin, aux côtés de Michael Mina, le Français dirige les programmes de vins et participe à l’ouverture du Bellagio Hotel à Las Vegas, en 1998, avec Steve Wynn.
En 1999, retour en Californie, au Ritz-Carlton San Francisco, où, à un poste de directeur F&B, il rencontre des figures marquantes comme Sylvain Portay, Jean-Pierre Dubray et Edward Mady. Ce dernier deviendra un mentor qu’il suivra pendant plus de 17 ans à travers des maisons emblématiques comme le New York Palace, le Beverly Hills Hotel et l’Hotel Bel-Air. Fort d’une riche expérience outre-Atlantique, Stéphane Lacroix contribue à d’autres ouvertures d’établissements d’exception, au poste d’Executive Assistant Manager : le Baccarat Hotel à New York, en 2015, et le Waldorf Astoria Beverly Hills au côté de Luc Delafosse, en 2017, avant d’accompagner le développement du groupe Proper Hospitality, à Los Angeles, avec quatre ouvertures en six ans, au poste de directeur général.
Depuis mai dernier, Stéphane Lacroix a pris de la hauteur. À 2 400 mètres d’altitude, dans la très sélect station de sports d’hiver d’Aspen, dans le Colorado, il occupe désormais la fonction de GM de l’Hotel Jerome, Auberge Resorts Collection. Cet établissement emblématique de la ville, fondé en 1889 à l'époque de l'exploitation des mines d'argent, considéré comme le premier « hôtel de luxe » de la station, est arrivé en tête du classement hôtelier d'Aspen cette année, selon le World's Best Awards 2025, publié début juillet. Un plébiscite qui récompense le travail du personnel de l’hôtel, mais aussi celui de la famille Friedkin, propriétaire du groupe, qui a investi 4,5 millions de dollars pour rafraichir l’hôtel durant la basse saison, tout en restant fidèle aux racines historiques de la propriété.
C’est dans cet écrin rénové, aux côtés de Christian Clerc, CEO d'Auberge Resorts Collection, et de Dan Friedkin, le propriétaire du groupe, que Stéphane Lacroix s’apprête à écrire un nouveau chapitre passionnant au pays de l’oncle Sam. Une nouvelle étape que l’Auvergnat a partagée avec le Journal des Palaces.
Journal des Palaces : Quelle est votre définition de l’hôtellerie de luxe ?
Stéphane Lacroix : Un luxe discret, sincère et profondément humain. Le vrai luxe, c’est d’anticiper sans imposer, de surprendre sans en faire trop. Il ne s’agit pas uniquement de prestations haut de gamme, mais de créer une émotion, une impression durable.
Pour moi, le luxe se mesure à la capacité d’un établissement à faire sentir chaque client unique, avec élégance et authenticité.
Vous avez suivi des formations œnologiques. Vous souhaitiez initialement devenir sommelier ? Comment avez-vous ensuite bifurqué vers un poste « d'hôtellerie pure » ?
Oui, le vin a été ma première passion. J’ai voulu en faire mon métier à travers la sommellerie. Mais, au fil du temps, j’ai compris que ce qui m’animait encore davantage était l’orchestration globale de l’expérience client : ce subtil équilibre entre service, accueil, atmosphère et émotion. Cette vision plus complète m’a naturellement mené vers des fonctions de direction hôtelière.
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous tourner vers une carrière à l’international ?
Une grande curiosité, l’envie de découvrir d’autres cultures de service, et le besoin de me challenger dans des environnements exigeants.
Les États-Unis, et en particulier la côte ouest, m’ont séduit par leur dynamisme, leur ouverture aux talents internationaux et leur esprit entrepreneurial. Ici, si vous avez une vision et l’envie de bien faire, tout est possible.
Quels sont selon vous les bienfaits d’une expérience à l’étranger ?
C’est un formidable accélérateur d’apprentissage. L’expatriation forge la résilience, développe l’agilité culturelle et l’intelligence émotionnelle.
Ce qui surprend parfois, ce sont les différences de rythme : aux États-Unis, les décisions sont rapides, l’exécution immédiate. Il faut savoir allier exigence et vitesse, sans jamais sacrifier la qualité.
Comment les Français sont-ils perçus et accueillis dans le secteur de l’hôtellerie de luxe aux États-Unis ?
Très positivement ! Les Français sont associés à l’élégance, au bon goût, à une certaine rigueur dans l’art de recevoir.
La French Touch se manifeste chez nous dans les détails : le soin porté à l’accueil, la sélection des produits, la manière d’orchestrer une expérience raffinée sans rigidité. C’est un luxe fluide, discret, mais toujours intentionnel.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre pays d’adoption sur le plan personnel ? Et sur le plan professionnel ?
Personnellement, j’apprécie l’immensité et la beauté naturelle du Colorado. Vivre à Aspen, entouré par les montagnes, offre un équilibre unique entre sérénité et énergie. Estelle, mon épouse, originaire de Crans-Montana, en Suisse, retrouve ici des repères familiers.
Professionnellement, j’aime la liberté d’action, la confiance que nous accordent nos propriétaires et cette volonté constante de progresser, de se réinventer, sans se reposer sur les acquis.
Quelle part de la France vous manque le plus ?
L’art de la table au quotidien, les longues discussions à l’heure du déjeuner, les marchés, les produits frais et de saison… Tout ce qui fait de chaque repas un moment de partage.
Mais, plus encore, ce sont les proches : mes parents, qui ont désormais 80 ans, mon frère Fabien et sa petite famille. Avec Estelle, cela crée un vrai besoin de nous reconnecter plus régulièrement à la France, et aussi à la Suisse.
Comment se présente la saison d’hiver dans cet établissement que vous dirigez ?
L’hiver est incontestablement notre saison phare. Cette année, nous mettons l’accent sur des expériences bien-être immersives et sur mesure, ainsi que sur des partenariats exclusifs pour nos hôtes : retraites holistiques et événements culturels en lien avec les grandes institutions locales.
L'Hotel Jerome reste unique à Aspen : c’est le plus ancien hôtel de la ville, avec une histoire intimement liée à celle de la station. Son cachet, son atmosphère chaleureuse, son âme singulière et sa récente rénovation des chambres et suites en font bien plus qu’un hôtel, un lieu unique, repensé avec modernité.
Est-il plus difficile de diriger un établissement de luxe en montagne, plutôt qu’en ville ou sur un littoral ?
Oui, c’est un défi logistique permanent. L’approvisionnement, le recrutement, la saisonnalité : tout est plus complexe. Il faut composer avec des ressources parfois limitées, tout en maintenant un niveau d’exigence irréprochable.
Mais, c’est aussi ce qui rend l’expérience unique : on apprend à être plus agile, plus soudé en équipe, et à tirer le meilleur d’un environnement exigeant. Diriger un hôtel de montagne, c’est aussi créer du lien avec la communauté locale et donner un vrai sens à la notion d’hospitalité.
Quels conseils pratiques donneriez-vous aux professionnels de l’hôtellerie de luxe qui souhaitent travailler à l’étranger ? Et plus globalement aux jeunes qui débutent leur carrière dans l'hôtellerie de luxe ?
À ceux qui partent à l’étranger, soyez curieux, respectueux des cultures, et prenez le temps d’observer avant de proposer. Ce n’est pas à l’environnement de s’adapter à vous, mais l’inverse.
Aux jeunes talents, privilégiez les maisons qui forment, qui inspirent et qui vous poussent à donner le meilleur. Il ne faut pas chercher à brûler les étapes.
Le luxe exige de la rigueur, de l’humilité et une passion durable. Mais, il offre en retour des carrières extraordinaires, riches de rencontres.
 L'Hotel Jerome est arrivé en tête du classement hôtelier d'Aspen, selon le World Best Award 2025
[ Hotel Jerome Aspen ]
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