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INTERVIEW – FRÉDÉRIC ZEMMOUR, DIRECTEUR GÉNÉRAL, L'ERMITAGE BEVERLY HILLS À LOS ANGELES : « LE PLUS GRAND DÉFI EST DE CONCILIER RIGUEUR OPÉRATIONNELLE ET LEADERSHIP ÉMOTIONNEL » (United States)
De l'excellence à l'instinct, le directeur général de L'Ermitage Beverly Hills défend une vision du luxe fondée sur la précision, la culture d'équipe et une présence constante sur le terrain. |
Category: North America & West Indies / Carribean islands - United States - Interviews and portraits
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Interview made by Vanessa Guerrier-Buisine on Tuesday 22 July 2025
 Frédéric Zemmour, directeur général de l'hôtel Ermitage Beverly Hills Photo credit © L'Ermitage Beverly Hills À quelques encablures de Rodeo Drive et de ses boutiques ultra-luxe, au cœur de Beverly Hills, un Français a su grimper brillamment les échelons pour atteindre la fonction de directeur général de L’Ermitage Beverly Hills.
Frédéric Zemmour est aujourd’hui une des incarnations du rêve américain et il a confié au Journal des Palaces quelques ingrédients de ce succès.
C’est dès le lycée, à l’occasion d’un job d’été dans un hôtel londonien, que le jeune homme se prend d’amour pour l’hôtellerie. L’attraction est telle qu’il choisit de poursuivre un cursus à Vatel Lyon, avant d’entreprendre une aventure internationale. Sa première expérience le conduit outre-Atlantique, pour un stage en Floride, qui le marquera, puisqu’il se promet alors de « revenir un jour pour travailler aux États-Unis ». Son ambition en tête, il fait d’abord ses armes au Plaza Athénée à Paris à l’occasion d’un second stage, et s’envole finalement vers la cité des anges pour valider un MBA à Vatel Los Angeles.
En pleine crise économique, une opportunité le conduit en Nouvelle-Zélande, et, en 2009, Vatel lui ouvre enfin les portes du rêve américain, au travers d’un stage au Sofitel de West Hollywood. Il y passera 11 ans, progressant du poste d’assistant manager du restaurant à directeur des points de vente. En 2019, il rejoint L’Ermitage Beverly Hills comme directeur de la restauration. Lorsque l’hôtel est repris par EOS Hospitality en 2020, il est promu Hotel Manager, puis directeur général, début 2024. Ce parcours, construit étape par étape, s’appuie sur une culture de la rigueur héritée du groupe Accor, et sur une volonté constante d’apprendre et de faire évoluer ses équipes.
« Diriger une équipe se fait de l’intérieur », affirme-t-il. À ses yeux, l’exemplarité, l’écoute et l’intelligence émotionnelle sont au cœur du leadership. Au sein d’un hôtel cinq étoiles distingué à la fois par le Forbes Travel Guide et les AAA Five Diamonds, il veille à créer une culture d’excellence partagée, en valorisant chaque collaborateur et en encourageant les prises d’initiative. Loin de la gestion à distance, il défend un management présent, accessible et engagé. Installé à Los Angeles depuis plus de quinze ans, Frédéric Zemmour y a trouvé une énergie et une diversité qu’il juge essentielles.
Dans cet entretien accordé au Journal des Palaces, il évoque son rôle de directeur général, la philosophie qu’il insuffle auprès de ses équipes et de ses clients et nous livre ses conseils les plus précieux pour réussir dans l’hôtellerie de luxe.
Journal des Palaces : Après neuf ans chez Sofitel, vous dirigez désormais un hôtel indépendant. En quoi votre expérience chez Accor influence-t-elle votre vision actuelle ?
Frédéric Zemmour : Travailler chez Accor m’a donné une compréhension approfondie de la structure, des systèmes et des processus. Ces outils sont inestimables pour la prise de décision. Dans un hôtel indépendant, les processus sont plus simples et les décisions peuvent être prises plus rapidement. Les deux environnements ont leurs atouts, mais ma formation structurée chez Accor continue d’influencer mon approche aujourd’hui.
L’Ermitage n’est pas affilié à une marque hôtelière, mais appartient au groupe EOS Hospitality. Quelle est votre relation avec les équipes du groupe et les autres directeurs ?
Quand j’ai rejoint EOS, ils n’avaient que 17 hôtels. C’était un groupe très soudé. Nous avons une conférence annuelle des directeurs où nous collaborons et réfléchissons ensemble. Aujourd’hui, EOS a environ 57 hôtels, seulement quatre ans plus tard. Malgré cette croissance, l’esprit collaboratif est resté. Nous sommes proches de l’équipe du siège, dont beaucoup de membres sont nouveaux en raison de l’expansion rapide. C’est une excellente équipe, et EOS est une entreprise formidable.
Vous vivez à Los Angeles depuis 2009. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y installer durablement ?
Je suis tombé amoureux de LA. C’est une ville dynamique et en perpétuel changement – on ne peut pas s’y ennuyer. Le mélange de cultures, le climat, la scène gastronomique – tout m’a attiré. Oui, la circulation pourrait être meilleure, mais c’est une ville que je ne peux pas imaginer quitter.
Votre établissement a reçu cinq étoiles du Forbes Travel Guide et les AAA Five Diamonds. Comment cette culture de l’excellence vous guide-t-elle au quotidien ?
Tout repose sur notre équipe. Nous privilégions une culture cinq étoiles en interne pour que notre équipe se sente valorisée et capable d’offrir un service cinq étoiles. Je dis souvent à mon équipe : si je ne viens pas, personne ne le remarque, mais si un salarié en contact avec les clients est absent, cela change tout. Notre objectif est de créer un environnement de travail exceptionnel où notre personnel se sent inspiré pour offrir des expériences magiques.
Proposez-vous des formations spécifiques à vos équipes ?
La formation est au cœur de tout ce que nous faisons. Dans le luxe, le service ne se résume pas à des procédures, c’est une question d’intelligence émotionnelle, de timing et d’intuition. Nous proposons des formations détaillées et continues dans tous les services, non seulement sur les standards techniques comme les protocoles Forbes et AAA, mais aussi sur la philosophie de service, la personnalisation des interactions et la collaboration interservices.
Nous organisons des briefings quotidiens, des rappels de service spécifiques à chaque service, et du coaching individuel. Mais ce qui est tout aussi important que la formation formelle, c’est le feedback en temps réel. Nous arpentons les lieux ensemble, célébrons les réussites et transformons les occasions manquées en moments d’apprentissage. Notre objectif est que l’excellence devienne instinctive.
Avez-vous des exemples d’expériences magiques que vous offrez à vos clients ?
Un de mes exemples préférés concerne un couple qui avait mentionné en passant qu’ils fêtaient leur anniversaire de mariage et s’étaient fiancés en Italie. À leur retour dans leur suite, après le dîner, notre équipe avait préparé une note manuscrite en italien, une bouteille du même vin que lors de leurs fiançailles, et des photos encadrées de ce voyage, trouvées sur leurs réseaux sociaux (avec discrétion et soin). Ils étaient sans voix.
Ce genre de magie ne se produit pas par hasard. Elle se manifeste lorsqu’une équipe écoute attentivement, pense de manière créative et se sent légitimée à agir avec cœur. La formation en pose les bases, mais c’est la culture qui l’anime.
Comment percevez-vous votre rôle de directeur général ? Quels sont les plus grands défis ?
Diriger une équipe se fait de l’intérieur. Une citation d’Edward Mady m’inspire beaucoup : « Le leadership ne vous élève pas au-dessus des autres ; il vous rend responsable des autres. Il fait de vous le gardien d’une réputation et d’une culture. » C’est ainsi que j’aborde mon rôle : guider l’équipe et protéger notre culture.
Des exemples concrets d’actions que vous avez prises en tant que DG ?
Je vois le poste de directeur général comme celui d’un gardien et d’un guide. Mon travail est de protéger la culture, d’inspirer l’équipe et de veiller à ce que chaque détail – du service à la rentabilité – soit en phase avec notre mission. Dans l’hôtellerie de luxe, on ne gère pas seulement un hôtel, on orchestre une émotion – chaque heure, chaque jour, pour chaque client.
Le plus grand défi est de concilier rigueur opérationnelle et leadership émotionnel. Il faut être aussi à l’aise avec les chiffres – modèles de personnel, marges GOP, RevPAR – qu’avec la gestion d’un client mécontent ou le soutien à un collaborateur en difficulté.
Un autre défi, c’est la constance à grande échelle. Les clients attendent des expériences sur mesure – mais dans un cinq étoiles, cela doit être vrai à chaque instant. Cela exige une formation sans relâche, une communication claire, et une équipe autonome et responsabilisée.
Par exemple, un jour, j’ai accueilli un client dont les bagages avaient été retardés, et qui était visiblement contrarié. En quelques minutes, notre équipe a organisé une session de shopping d’urgence, livré des vêtements repassés en chambre, et envoyé une note de ma part avec un soin au spa offert. Ce genre de réponse fluide n’est possible que si l’équipe est préparée et digne de confiance.
En fin de compte, le plus grand défi – et le plus grand privilège – est d’orchestrer les 200 éléments mobiles pour qu’ils fonctionnent comme une seule mécanique silencieuse. Si nous faisons bien notre travail, cela paraît facile. Mais en coulisse, c’est une chorégraphie quotidienne de discipline, de créativité et d’attention.
Quels conseils pratiques donneriez-vous à un jeune ou à un professionnel expérimenté qui souhaite réussir à Los Angeles ?
Ne vivez pas trop loin de votre lieu de travail et ne précipitez pas votre carrière. On acquiert une vraie expérience en touchant à tous les aspects de l’hôtel. Pendant le COVID, nous n’étions que neuf dans l’équipe – nous avons tout fait, du ménage au linge, en passant par la réception. Cela m’a appris bien plus que n’importe quel titre. Si vous ne le faites pas, vous ne réalisez pas combien c’est difficile. Soyez sur le terrain avec votre équipe et écoutez-la. Elle détient souvent 90 % des réponses.
Et plus spécifiquement en lien avec Los Angeles ?
- Vivre stratégiquement – la proximité compte : LA est vaste, les trajets peuvent être épuisants. Habitez près de votre hôtel ou dans un quartier bien desservi. Être ponctuel et pleinement présent est essentiel dans le luxe.
- Comprendre que le luxe réside dans les détails : ce n’est pas une question d’image tape-à-l’œil, mais de gestes invisibles – un drap impeccable, se souvenir des préférences d’un client, anticiper ses besoins.
- Être prêt à tout faire : quel que soit le poste, n’ayez pas peur du travail de terrain. Pendant la pandémie, nous avons tous mis la main à la pâte.
- Réseauter avec sincérité : ce milieu repose sur les relations, mais l’authenticité prime. Rejoignez des associations, participez à des événements, mais construisez des relations solides.
- Connaître son marché : le luxe à LA, c’est un mélange de glamour, de bien-être, de discrétion et d’influences internationales. Adaptez votre style de service.
- Être sur le terrain, écouter, diriger avec empathie : le leadership se mérite par la présence.
- Penser sur le long terme : les titres passent, la réputation reste. Dans l’hôtellerie de luxe, la manière dont vous traitez les autres vous suit partout. Prenez le temps, maîtrisez chaque rôle. Le respect ouvre les portes.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune souhaitant faire carrière dans l’hôtellerie de luxe ?
Le luxe, c’est l’attention portée aux détails et à l’anticipation. Ce n’est pas seulement le produit, c’est l’expérience. Prenons un barman : faire un cocktail, c’est 40 % du travail. Le reste, c’est l’histoire qu’on raconte, l’interaction, l’ambiance.
Dans les chambres, le lit peut être parfait, mais ce sont les salutations chaleureuses, les gestes personnalisés, et l’anticipation des besoins qui subliment l’expérience. Si un client arrive avec des enfants, on lui propose des activités adaptées. S’il a une réunion matinale, on lui demande s’il a besoin d’un transport ou d’imprimer une présentation. Voilà ce qu’est le luxe – rendre du temps aux personnes pour ce qui compte.
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