INTERVIEW – ANNE SEBAOUN, DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT DE LA MARQUE TOULEMONDE BOCHART : « ON SE CRÉE EN PERMANENCE DES CENSURES IDIOTES » (France)
Une main sur la tradition et la deuxième sur l’innovation, Toulemonde Bochart cultive l’art du tissage à travers la confection de tapis aux styles hétéroclites avec un souci du détail sans cesse renouvelé.
INTERVIEW – ANNE SEBAOUN, DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT DE LA MARQUE TOULEMONDE BOCHART : « ON SE CRÉE EN PERMANENCE DES CENSURES IDIOTES » (France)
Une main sur la tradition et la deuxième sur l’innovation, Toulemonde Bochart cultive l’art du tissage à travers la confection de tapis aux styles hétéroclites avec un souci du détail sans cesse renouvelé.
On a vite tendance à l’oublier, à force de le fouler sans vraiment le regarder, pourtant sans lui la pièce paraitrait bien vide, comme mise à nu, sans ce manteau qui la couvre et l’habille. Il peut être fin comme une seconde peau ou alors plus épais et molletonné avec de longs poils donnant l’impression de marcher sur un nuage, uni ou alors bariolé de couleurs, carré pour épouser les formes de la pièce ou baroque comme pour accompagner une décoration particulière. Le tapis n’est pas qu’un simple bout de tissu, il participe à l’âme d’une pièce et d’un intérieur. Un objet d’apparat aussi discret qu’indispensable.
Créée en 1946 dans le Nord, Toulemonde Bochart a rapidement délaissé la distribution d’articles textiles pour se lancer dans le tapis contemporain où l’entreprise s’est tissée une jolie réputation par la qualité de ses produits et le savoir-faire de ses artisans. Aujourd’hui encore, la société nordiste cultive cet art ancestral, appris en Chine et en Inde, où elle réalise encore ses créations.
Diplômé d’architecture et ancienne assistante marketing dans une firme du groupe Boussac, Anne Sebaoun a depuis pris des responsabilités et est en charge du développement de la marque Toulemonde Bochart. Pour le Journal des Palaces, elle a pris le temps d’explorer la philosophie du travail de l’entreprise et son rapport à l’hôtellerie de luxe.
En quoi le savoir-faire de Toulemonde Bochart est-il unique ? Toulemonde Bochart a su créer tout un univers de création dans ses échanges avec des pays comme l’Inde, la Grèce ou la Chine pour en magnifier l’artisanat en transférant les goûts et les recherches de la création française.
Combien de salariés comptez-vous ? La société emploie aujourd’hui 24 personnes.
Quelle est votre vision du luxe ? Dans notre monde, le luxe réside dans l’utilisation de matières nobles et naturelles, et le partenariat avec des tisserands d’exception, des magiciens de la teinture dans le respect de nos valeurs.
De quoi vous inspirez-vous pour créer ? Tout est source d’inspiration, le drapé d’un tableau de Bellini ou le sari d’une paysanne indienne. Le passé est bien sûr toujours inspirant, mais notre ADN nous pousse vers une modernité et un design d’aujourd’hui.
Quelles limites imposez-vous à votre inspiration ? Je crois que l’on se crée en permanence des censures idiotes, mais notre vocation est avant tout d’habiller les intérieurs d’aujourd’hui, les espaces publics ou privés.
Très tôt, vous avez demandé à des artistes de créer des collections avec vous. Pourquoi et que vous ont-ils apporté et vous apporte encore ? Nous avons été précurseurs avec notre collection des « Créateurs à vos pieds » qui rassemblait les figures du design français. Ils nous ont apporté la folie avec Hilton McConnico, la rigueur avec Jean-Michel Wilmotte, l’œil absolu avec Andrée Putman et nous allons sans doute rechercher à nouveau leur tutelle bienveillante. Chaque époque a ses mouvements de fond, et nous sommes en permanence à la recherche de nouvelles expressions.
Quelle est la politique RSE de l’entreprise ? Dans tous les process d’élaboration, nous intégrons des exigences sociales et environnementales. Tous nos partenaires sont certifiés par des organismes indépendants et nous sommes au-dessus des normes de retraitements des effluents de teinture et de tissage. Depuis plus de 40 ans, nous soutenons également les projets locaux sociaux et les projets d’éducation. Cette démarche est loin d’être nouvelle, et nos partenaires depuis toutes ces années le sont restés grâce à la qualité de leurs engagements dans les causes sociétales.
Quelles sont les exigences des hôtels de luxe avec lesquels vous collaborez ? Les exigences pour nous, comme pour les autres, sont le respect des engagements, la qualité des produits proposés et leur adéquation au projet. Chaque projet est un challenge, car nous intervenons généralement en fin de projet et nous devons souvent nous plier à des délais très serrés. Il faut donc être réactifs, avoir des solutions adaptées que nous apportent notre studio et des artisans hors pair.
Quelle est la création la plus incroyable que vous ayez effectuée ? L’incroyable n’est pas toujours dans le gigantisme, mais le tapis réalisé pour le hall de l’InterContinental Lyon Hôtel Dieu, avec l’agence Nuel, a été un beau projet.
Avec quels établissements prestigieux collaborez-vous ? Des agences comme AW2 avec le Six Senses de Crans Montana, Affine avec l’Hôtel de Paris à Monaco ou encore Nuel avec Le Grand Hôtel-Dieu de Lyon. Nous équipons également des marques de luxe que nous ne pouvons pas nommer.
Quelles sont les tendances du moment ? Nos recherches nous poussent vers des rendus en effets de tissage, des coloris assourdis et mélangés, mais là encore pour ces projets, nous restons à l’écoute des demandes des prescripteurs, dont nous sommes le bras tisserand.
Comment définissez-vous la matière dans laquelle vous réalisez vos tapis ? Quelle marge de manœuvre avez-vous ? La première fibre que nous utilisons reste la laine, incontournable pour un effet confortable et une résistance adaptée aux usages. Les approvisionnements restent faciles, et nous jouons également sur des mélanges pour accentuer des aspects brillants ou renforcer encore la résistance.
Rencontrez-vous des difficultés en termes logistiques pour produire vos équipements (matières premières, stocks, inflation, coûts énergétiques…) et comment y faites-vous face le cas échéant ? Comme tout le monde, nous subissons une inflation importante en matière de logistique, mais cela nous a mis face à d’autres enjeux plus écologiques qu’économiques en privilégiant des transports par conteneur et en se passant de plus en plus du fret aérien.
Votre activité est très spécifique et requiert un savoir-faire particulier. Quels sont les métiers propres à votre travail et qu’on ne retrouve pas ailleurs ? Le tissage en général, et la technique du noué main sont des artisanats précieux et encore préservés dans les régions où nous travaillons. Nous sommes en recherche de relocalisation de certains métiers vers l’Europe.
La transmission du savoir-faire entre vos équipes est-elle primordiale ? Si oui, comment s’organise-t-elle ? La transmission est toujours un point fondamental dans les métiers de la création. Les équipes sont en train de se développer pour permettre une croissance naturelle des savoirs, avec la présence de Florence Bourel en direction artistique, et le studio s’étoffe également.
Quels sont vos prochains projets en France et à l’étranger ? Quelles nouvelles collections envisagez-vous ? Quels objectifs en termes de marchés ? Nous ne pouvons pas évoquer les nouveaux projets, mais sachez qu’ils se développent sur plusieurs continents. La prescription est bien sûr un levier de progrès important, mais nous ne négligeons pas notre travail sur la collection BtoC et comme chaque saison, vous serez surpris par la richesse et la diversité de l’offre.
Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.
