Le Journal des Palaces

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JEAN-MICHEL LAGARDE - MELJAC : « LE LUXE, CE N'EST PAS QU'UN PRODUIT, C'EST UN SERVICE » (France)

Directeur général de Meljac depuis huit ans, Jean-Michel Lagarde revient sur l’histoire de la société, son savoir-faire et sa collaboration avec l’hôtellerie de luxe.

JEAN-MICHEL LAGARDE - MELJAC : « LE LUXE, CE N'EST PAS QU'UN PRODUIT, C'EST UN SERVICE » (France)

Directeur général de Meljac depuis huit ans, Jean-Michel Lagarde revient sur l’histoire de la société, son savoir-faire et sa collaboration avec l’hôtellerie de luxe.

Catégorie : Europe - France - Interviews - Produits et Fournisseurs - Fournisseurs - Interviews
Interview réalisé par Christopher Buet le 27-01-2023


Si dans certains établissements, lampes et plafonniers s’allument tout seuls par une simple détection du mouvement, l’interrupteur demeure une pièce incontournable dans n’importe quelle chambre. Un détail presque insignifiant, longtemps délaissé et cantonné à un morceau de plastique ingrat. Pourtant, l’interrupteur est un élément à part entière du décor au service d’une esthétique et d’une ambiance savamment créée par les architectes et les directeurs des hôtels.

En France, l’entreprise Meljac s’est spécialisée dans la production de ses petits boîtiers, depuis 1995. L’aventure commence toutefois 10 ans plus tôt. André Bousquet travaille alors comme électricien intervenant des chantiers haut de gamme pour le show business, et reçoit des demandes de la part de ses clients pour installer des interrupteurs plus graphiques.

Passionné par l’esthétique des années 1930, il étudie les leviers métalliques de l’époque et les réhabilite. Après une décennie de recherches et d'expérimentations, il lance enfin Meljac. Le succès est immédiat et ne s’est plus jamais démenti, l’entreprise s’associant avec les particuliers et les établissements de luxe.

Depuis 2015 et après avoir construit sa carrière dans le luxe à Nina Ricci, Paco Rabane ou Barbara Bui, Jean-Michel Lagarde participe à la croissance de Meljac et entretient la mémoire et l’esprit de son fondateur, décédé en 2019 à seulement 67 ans.

Pour le Journal des Palaces, le dirigeant a accepté de revenir sur son parcours et surtout de partager son expérience d’une maison fière de son savoir-faire, ancrée localement et dont l’excellence est reconnue par le label « Entreprise du Patrimoine Vivant » (EPV), délivré par l’État à seulement 1.400 entreprises. Entre classicisme et collaborations artistiques audacieuses, impératifs écologiques et de formation, lumière sur Meljac.

Quel est l’histoire de Meljac ?
En 25 ans, André Bousquet a fait ressortir l’interrupteur métallique dans une période du tout plastique. Il a mis une dizaine d’années à étudier le produit avant de lancer Meljac, puisqu’il a travaillé sur le sujet dès 1985 pour créer la société en 1995. Le succès a été tel qu’il a arrêté son activité d’électricien pour devenir fabricant d’interrupteurs, prises et autres appareillages aujourd’hui.

D’où lui est venu l’idée de faire des interrupteurs ?
De demandes de ses clients. Il travaillait beaucoup pour le show-business sur des chantiers haut de gamme et on lui demandait s’il ne pouvait pas installer quelque chose de plus beau que des interrupteurs en plastique qui sont tous les mêmes. Il était féru des années 1930 et est allé rechercher le levier de nos (arrières) grands-parents qui à l’époque était fondu au milieu d’éléments en porcelaine. C’est ce qu’on appelle « la goutte » qui est notre levier iconique de la gamme classique.

Comment l’histoire s’est ensuite construite ?
L’hôtellerie n’est pas arrivée tout de suite. Nous avons commencé par du résidentiel, par des personnes dans le show-business, dans le design, la mode. Pour l’hôtellerie, nous travaillons de longue date avec les palaces parisiens et c’est vrai que ces dernières années, toute l’hôtellerie haute gamme a voulu faire de son univers graphique quelque chose de différent, insister autant sur l’expérience client que l’univers et là, il y a un grand développement de nos plaques.
Meljac a la capacité de faire du sur-mesure, de travailler aussi bien avec l’architecte qu’avec l’hôtel pour véritablement définir la plaque qui conviendra le mieux selon l’expérience client et le design.

Combien de collaborateurs compte la société ?
Meljac compte une petite centaine de collaborateurs, tous basés en France dans quatre localisations : deux showrooms un à Paris et un autre en région lyonnaise qui couvre la zone sud-est, avec la Côte d’Azur et la montagne, très dynamique, et deux ateliers en région parisienne.

Comment s’est déroulé le salon EquipHotel pour la marque ?
C’était notre quatrième participation. Nous étions présents avec un stand, mais également le concept « Votre chambre » de Laurent Maugoust pour lequel nous avions fait des liseuses en porcelaine peinte à la main.
C’était une édition très riche porté sur l’hospitalité engagée. Nous n’échappons pas à la tendance des économies d’énergie, donc nous avons tenu à mettre en avant nos systèmes domotiques qui permettent de faciliter la gestion des éclairages. Cela aide les hôteliers à une meilleure gestion de l’énergie. Pour ça, nous avons travaillé avec notre partenaire Crestron qui nous a permis de créer une expérience client.
Sur le stand, le client pouvait voir nos produits, mais aussi les manipuler, apprécier avec quel confort on peut mettre en place des scénarios de lumière, faire varier les lumières, du son. C’était nouveau et ç’a plu à ceux qui ont visité notre stand.

Cela montre que Meljac va au-delà du simple interrupteur…
Le métier évolue. Il y a 10 ans, on ne mettait que des interrupteurs, de la prise de courant fort. Aujourd’hui, la domotique est prépondérante, en particulier dans l’hôtellerie. Nous aurons toujours besoin de courant fort pour recharger des téléphones, brancher des téléviseurs et avoir des prises dans les chambres, toutefois, c’est vrai qu’au point de contact, on va être connecté à toute la technologie de la chambre.
Avec Meljac, nous allons garantir que les décors de ces « télécommandes » seront dans la même qualité graphique. Cela permet aux architectes d’exprimer leur créativité en étant sûr qu’au milieu de leur création, il n’y aura pas un thermostat en plastique, nécessaire à la gestion de la chambre, mais qui défigure l’hôtel.

Comment se définit le design ?
La définition est faite par l’architecte qui s’appuie sur nos designs ou peut être amené à nous en faire créer d’autres. C’est le cas de la ligne cannelée avec Jean-Michel Wilmotte, née dans le but de faire l’hôtel Lutetia, même nous l'avons fait finalement avec d’autres produits. Nous travaillons aussi beaucoup avec l’hôtel lui-même. L’exemple du Meurice est très bon, car ils ont vraiment un besoin d’expérience client très particulier. Ils nous ont demandé sur les plaques de tête de lit d’intégrer des sensors pour que la personne en se levant la nuit n’ait qu’à effleurer la plaque pour que ça éclaire seulement le levier, puis le chemin de nuit. Il y a parfois des besoins très précis, techniques à la base qu’il faut traduire avec la plaque la plus belle possible grâce à notre bureau d’études, composé d’une dizaine de personnes.

Quelle plaque a représenté le plus grand défi technique ?
Il y en a beaucoup, mais je dirais la pyramide. On l’a développée pour l’hôtel Meurice. Elle est là pour rappeler la pyramide du Louvre, le Meurice étant devant les cours du Louvre. Intégrer dans ce petit volume, tous ces mécanismes, dans certaines versions des prises anglaises ou américaines, c’était un travail très important. De manière générale, au Meurice, nous sommes allés très loin. Parfois, parfois, sur des plaques d'ascenseurs, nous allons mélanger les technologies : des contrôles d’accès, des boutons simples, du visiophone… Le mélange des marques donne aussi des développements assez incroyables.

De quoi vous inspirez-vous pour créer vos divers modèles ?
Nous essayons toujours de créer des choses, mais nous avons la chance de travailler avec les plus grands architectes et designers du monde, des personnes qui ont une créativité telle, qui nous nourrissent en permanence. On a parlé de Jean-Michel Wilmotte, il y a aussi Marc Newson pour la gamme Solaris. Quand on a cette chance-là, on les suit et on est ravi. On essaie d’être un outil de pointe pour eux, le plus performant possible. Nous avons beaucoup de personnes qui veulent créer des collections avec nous, mais nous ne pouvons pas lancer des collections tous les ans. Nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. Nous le faisons quand ça s’intègre à un calendrier, à un projet particulier avec des personnes qui ont compris notre savoir-faire et vont pouvoir le sublimer. Mis à part la gamme Tournaire, liée à un partenariat entre fournisseurs, on essaie d’accompagner ces personnes qui ont un talent fou.

Après, nous suivons les tendances. Nous avons beaucoup de demandes, qui viennent souvent des États-Unis, de décors qui vont évoluer dans le temps, donc nous avons créé des gammes comme le laiton vieilli ciré ou l’Antique Brass Nord America. Ce sont des décors qui vont continuer de se patiner dans le temps ou vont le faire croire. On essaie de suivre ce qui se fait avec les damiers, les boutons poussoirs liés à la domotique et au courant faible. On vient se fondre dans les décors. Les boutons s’arrondissent, les plaques aussi.

Quelle est la collaboration récente dont vous êtes le plus fier ?
Avec Marc Newson. Avoir la chance de collaborer avec le designer d’Apple, qui a dessiné l’Apple Watch et signe régulièrement des produits pour des maisons comme Louis Vuitton, Mont-Blanc… Je pense que ça l’amuse de rentrer dans le monde de l’interrupteur et de dessiner sa ligne comme il l’a faite. On peut être assez fier d’attirer ce genre de designer à la résonance mondiale.

Votre production est-elle made in France ?
Les produits sont garantis « origine France » depuis 2012, car nous produisons à 80% dans nos deux ateliers en région parisienne. Nous n’échappons pas à quelques sourcings, électroniques notamment, extérieurs, mais c’est très faible. Toutes nos plaques sont traitées à la main dans nos ateliers. La proximité avec nos équipes est très importante pour nous car il n’y a pas de beaux produits sans les hommes qui les fabriquent.
Aujourd’hui, nous fabriquons 110.000 plaques d’interrupteurs par an et elles sont toutes frottées, brossées une par une à la main, en ayant apporté un soin au décor de chacune. C’est la garantie de la qualité et d’avoir un produit d’artisan. On est à la frontière de l’industrie et de l’artisanat. Nous avons des thermostats, des prises de courant, qui par nature sont industriels, et nous devons les sublimer dans des écrins de métal traités, eux, de façon artisanale. Forcément, dans un hôtel, quand il y a un volume important, il faut être en mesure de garantir cette qualité de décor sur la durée.

Quelles sont les difficultés inhérentes à votre activité ?
Les difficultés sont nombreuses. Par la nature de notre métier d’artisan, nous allons devoir créer des choses, adapter des produits en quantité très faible. Si nous restons dans l’hôtellerie, quand nous étudions un thermostat, il n’y en a qu’un par chambre. C’est beaucoup moins que des prises ou des interrupteurs qu’on met partout. Il y a beaucoup de travail pour une multiplicité de produits, de marques qu’on nous demande d’intégrer. Il y aussi la personnalisation qui rend chaque plaque unique parce que la gravure, la forme, les polices. Ce sont les difficultés intrinsèques à notre métier.

Aujourd’hui, se rajoute des données structurelles comme les difficultés de recruter. Il y a peu de formations dans nos métiers. Nous avons trouvé une filière pour tout ce qui est usinage, traitement du métal avec de nombreux alternants et ça fonctionne. Pour le traitement de surface, on forme les personnes en interne. Ce sont des travaux difficiles et les formations sont longues. Avant qu’un de nos collaborateurs soit capable de faire efficacement toute une commande de bronze lui-même, il faut plusieurs mois, voire plusieurs années. Là, ce sont des difficultés de recrutement inhérentes au savoir-faire de nos artisans, long à transmettre.

Puis, l’année dernière, deux difficultés conjoncturelles se sont rajoutées : l’augmentation des prix de l’énergie, nos machines-outils sont assez énergivores et cela augmente les coûts, et la disponibilité et le coût des matières dans une période où les commandes affluaient. Forcément, cela a allongé les délais de production. Il a fallu le faire comprendre à nos clients. Ce n’était pas toujours simple, car leurs chantiers avaient des dates, mais nous n'étions pas les seuls. Tout le métier doit intégrer ces changements de manière de travailler.

Quelles sont les tendances en ce moment ? Les attentes des architectes ?
La domotique apporte beaucoup de boutons poussoirs. Notre mécanisme inverseur automatique est un double bouton poussoir à levier que l'on utilise beaucoup. La gamme « damier » également très demandée, car on va pouvoir jouer sur la forme des boutons qui sont carrés de base, mais qui pourront être ronds ou triangles.
On parlait aussi des décors où on a une vraie tendance sur le cuivre, l’or rose, et sur tout ce qui se patine ou ont l’air vieilli, les tons cirés qui vont évoluer plus vite dans le temps, car ils ne sont pas vernis et que la couleur n’est pas figée. On a parlé des cuivres antiques qui eux sont figés, mais donnent l’impression d’avoir vieilli.

Avec quels établissements prestigieux collaborez-vous ?
Nous avons la chance d’avoir travaillé avec beaucoup d’hôtels à Paris et dans le monde. On a cité Le Meurice, le Lutetia. Nous sommes fournisseurs du Mandarin Oriental, de Four Seasons, La Réserve. Nous l'avons été pour Cheval Blanc à Saint-Tropez et à Paris quand il a ouvert. Aujourd’hui, il est plus difficile de trouver un hôtel haut de gamme à Paris où l'on ne trouve pas de Meljac que l’inverse.
Comme ils sont en rénovation plus ou moins permanente, nous allons travailler sur différents points. Au Bristol, par exemple, on refait tous leurs traitements de surface de métallerie, car ils l’entretiennent en permanence. En son temps, nous avons fait le Crillon et le Ritz. Après, il y a des hôtels plus localisés. On va travailler avec les Ultima qui sont des palaces de montagne.

Quels sont vos prochains beaux projets ?
Deux derniers grands projets sortent cette année 2023. Nous venons de refaire tout le Royal Mansour Casablanca et de livrer le Carlton à Cannes. L’hôtellerie est devenue un vrai marché pour nous.

Quelle est votre définition du luxe ?
Le premier luxe, c’est la qualité du produit, la qualité visuelle et du contact. C’est aussi la qualité de service.
Derrière un esthétisme de qualité, une personnalisation et la plaque qui correspond le mieux au besoin du client, il faut le service qui va avec. Dès qu’il y a une question, un problème, il faut être là pour répondre.
Le luxe, ce n’est pas qu’un produit, c’est un service. Il peut y avoir des produits qui ne correspondent pas exactement parce que le calibrage, soit n’a pas été bien compris, soit pas assez bien défini et à ce moment-là, il est hyper important que la marque trouve des solutions. On finit toujours par trouver, y compris quand l’erreur ne vient pas forcément de nous. Je pense que c’est une des qualités de Meljac, on ne laissera jamais un client en lui disant : « Vous avez commandé ça, c’est comme ça. » On trouvera et on proposera des solutions pour qu’à la fin, le client ait un produit conforme et lui permette l’utilisation.


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A propos de l'auteur

Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.


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