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GARNIER-THIEBAUT, DU COUSU MAIN AU COEUR DES VOSGES (France)

Paul de Montclos, président : « Le virage de l’hôtellerie de luxe que Garnier-Thiebaut a pris, c’est grâce à notre capacité à travailler sur des petites séries. Nous avons accompagné la montée en puissance de la personnalisation et nous nous sommes exportés »

GARNIER-THIEBAUT, DU COUSU MAIN AU COEUR DES VOSGES (France)

Paul de Montclos, président : « Le virage de l’hôtellerie de luxe que Garnier-Thiebaut a pris, c’est grâce à notre capacité à travailler sur des petites séries. Nous avons accompagné la montée en puissance de la personnalisation et nous nous sommes exportés »

Catégorie : Europe - France - Produits et Fournisseurs - Fournisseurs
Article rédigé par Christopher Buet le 28-04-2023


Les frimas de l’hiver se font encore sentir sur les rives du lac de Gérardmer, malgré le soleil. Là, au cœur des Vosges, terre textile par excellence, Garnier-Thiebaut a tissé sa renommée. À l’initiative de l’Association des Gouvernantes Générales de l’Hôtellerie (AGGH), l’entreprise a ouvert les portes de ses usines pour lever le voile sur ses activités et partager quelques-uns de ses secrets en plus d’une histoire ramenant aux prémices de la révolution industrielle.

Un conte vosgien

En 1833, Jean-Baptiste Garnier et son épouse Valérie Thiebaut décident, un an après leur mariage, de fonder leur entreprise qui sera l’association de leurs deux noms. « C’est une vielle dame », aime à rappeler avec bienveillance Paul de Montclos, l’actuel président, qui nous reçoit dans l’usine reconstruite après la Seconde Guerre mondiale. Garnier-Thiebaut n’est alors qu’un revendeur de tissus dans les foires locales, le dernier maillon d’une chaîne alimentée par les paysans vosgiens. Peu à peu, l’entreprise se structure et ouvre une usine dans la vallée. Les paysans la rejoignent, apportant leur savoir-faire, entretenu depuis, et participent à son essor, comme les amitiés du couple, proche notamment de Napoléon III.

Le XXe siècle marquera une rupture et un changement profond. Du fait de sa position, l’historique usine est rasée en 1944 par l’armée allemande en déroute. Il faudra cinq années pour tout reconstruire. En 1969, après un échec dans le plastique, les descendants du couple fondateur sont contraints de vendre. L’entreprise passe, notamment, par les mains d’André Gelfi. Ce proche de Bernard Tapie ne s’attarde pas et vend en 1985 aux Montclos, plus ancienne famille française dans le textile à la tête des tissages Denantes et dont les racines remontent à 1620 et à la toile de Voiron. En juillet 1995, Paul de Montclos est alors missionné pour préparer l’entreprise à sa revente. Il ne partira plus.

La 11e génération dauphinoise dans le textile se prend au jeu et remet Garnier-Thiebaut d’équerre en se recentrant sur son savoir-faire avec un positionnement clair. Pas question de faire comme les autres et de produire en grande quantité. L’accent est mis sur la qualité : les petites séries pour le luxe et des collections chamarrées à destination du grand public. Pour ces dernières, il débauche deux stylistes chez Hermès et Rochas, produit deux collections par an et sort 40 à 50 nouveaux modèles par saison. Sans être filateur, l’entreprise suit la vie du fil, va le préparer, le teindre, le tisser, l’ennoblir et le distribuer par ses commerciaux en hôtellerie ou ses boutiques (une vingtaine propres au groupe et une douzaine partenaires).

Une eau miraculeuse et un label

Pour parvenir à tenir cette exigence, les usines tournent à plein, au rythme des tisseuses de fer tirant des bobines multicolores de 3,5 kg, entreposées avec soin, pouvant contenir jusqu’à 87,5 km de fil pour du fil 50/2 et près de 210 km pour du 120/2 (fil très fin). Toutefois, les impressionnants ourdissoirs et autres métiers à tisser bourdonnant toute la journée ne sont pas laissés en autonomie et restent manipulées par les 220 salariés que compte l’entreprise, répartis du tissage à l’ennoblissement, de la confection à la logistique. En effet, la bourdonnante confection est hybride ici, à la fois automatique et manuelle pour les prototypes, échantillons et urgences.

Ces équipes disposent d’une grande autonomie, afin de laisser libre expression à son savoir-faire. Comme l’ennoblissement, réalisé dans une usine créée exclusivement pour Garnier-Thiebaut, non loin de la première. « C’est la chimie du textile », image le président d’origine dauphinoise. Le coton va être mercerisé dans un bain de soude, rétrécir, blanchir et obtenir un aspect plus lisse, brillant et gonflé. Un procédé historique. Si les usines textiles se sont développées ici, c’est lié à l’eau de la région. En plus de sa force motrice, elle dispose d’une acidité naturelle. Historiquement, les paysans trempaient les linges une fois tissés et les laissaient sécher au soleil. L’action des UV faisait le reste pour blanchir les pièces.

À cette nature généreuse, Garnier-Thiebaut a développé le savoir-faire paysan et réunit désormais 72 métiers différents. Un trésor pour lequel Paul de Montclos porte une haute considération et met un point d’honneur à valoriser. Aussi, en 2005, il participe à la fondation du label Entreprises de Patrimoine Vivant (EPV), valorisant les entreprises aux savoir-faire rares comme la maîtrise de la filière du damassé, un tissu de prestige, pour Garnier-Thibaut. Dans un élan semblable, la distinction « Vosges Terre Textile » voit aussi le jour. « L’idée était de valoriser la filière textile locale, en authentifiant les produits », dit-il de cette initiative pensée comme une AOC industrielle. Pour l’obtenir, il faut qu’au moins 75 % des opérations sur le produit soit faites dans la région.

Un savoir-faire en danger ?

Un savoir-faire unique et précieux, mais pas immuable. « Il y a un risque de perte de savoir-faire, puisqu’il n’y a plus d’école. Donc, le seul moyen de perpétuer l’activité passe par le tutorat, en demandant à un ancien de former un jeune. Ils ont été très pros mais un jour, ils sont venus me voir et m’ont dit : « Paul, les jeunes ne restent pas. » Il y a un rapport au travail qui a évolué », avance Paul de Montclos.

Garnier-Thiebaut a essayé de mettre en place une école de production au sein de laquelle elle formerait elle-même des jeunes en rupture scolaire. Mais, le projet a échoué, faute de soutien des pouvoirs publics. Aujourd’hui, « nous recommençons à former. Nous utilisons tous les outils possibles d’insertion », dit le président qui ne cache pas qu’il doit aussi prendre en compte la situation géographique, éloignée de centres urbains. Ainsi, un collaborateur a récemment démissionné car les trajets étaient trop contraignants.

Le dirigeant garde espoir et continue d’innover pour attirer, avec ses moyens. « Il y a une dizaine d’années, nous nous sommes dit que nous allions droit dans le mur. Il fallait rendre sexy nos entreprises. Nous faisons beaucoup visiter les usines par les collèges et les étudiants, afin qu’ils voient que l’usine textile d’aujourd’hui n’est pas celle qu’ils ont en tête. Il faut aussi expliquer que nous pouvons rentrer dans le textile avec peu de bagage mais finir très loin. C’est un vrai ascenseur social », assure-t-il, s’appuyant sur le récit de 28 années de petits et grands succès industriels et surtout humains.

Le luxe comme débouché

Si le recrutement est complexe, Garnier-Thiebaut peut se prévaloir d’une bonne santé globale, ayant su prendre les bons virages. Autant par choix que par contrainte. Incapable de lutter dans la course aux prix toujours plus bas, l’entreprise s’est recentrée sur les petites séries, faisant du haut-de-gamme et du sur-mesure, sa marque de fabrique. « Le virage de l’hôtellerie de luxe que Garnier-Thiebaut a pris, c’est grâce à notre capacité à travailler sur des petites séries. Nous avons accompagné la montée en puissance de la personnalisation et nous nous sommes exportés », indique Paul de Montclos, pas peu fier d’avoir impulsé ce changement dès 1995.

Développant sa propre filière de production et d’entretien, l’entreprise devient un partenaire pour les établissements souhaitant plus que du linge de table ou de lit mais des produits à leur effigie. Des produits brodés à leurs initiales, des taies d’oreillers tissées de telle sorte que les volants restent bien droits. Chaque détail est pensé selon les désirs d’une clientèle ravie de ce degré de précision. « Avec les produits Garnier-Thiebaut, nous nous démarquons. Venir visiter les usines est une richesse. Nous avons appris et en rentrant dans nos hôtels, nous pourrons parler de ce que nous avons vu », explique une des participantes. Pour les restaurants, il est possible d’avoir une encoche sur la serviette pour la boutonnière de la chemise : « Cela paraît anodin mais ça ne l’est pas et cela permet de faire un lien avec le client. »

Par sa capacité d’adaptation et des délais courts (trois à six semaines pour une livraison de main à main), Garnier-Thiebaut s’est assurée de belles collaborations et de solides débouchés, tant en France qu’à l’étranger, où l’entreprise est présente dans 85 pays. Ainsi, aux États-Unis, elle réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires, soit 30 millions d’euros. « Nous sommes partis de zéro sur ce territoire. Nous avons commencé en 1996 et, en 2010, nous faisions deux millions d’euros. En 2010, nous avons fait une croissance externe et là, nous sommes passés de 2 à 30. C’était stressant car cela a mobilisé beaucoup de ressources avec beaucoup d’incertitudes », rembobine le dirigeant dauphinois.

« Nous créons du lien »

Si ce dernier sait qu’il va devoir continuer à se développer à l’international pour suivre ce qu’il appelle « une régionalisation du monde », il n’entend pas abandonner les Vosges et son bassin naturel unique. Mieux, il compte y poursuivre ses investissements. La turbine qui produit 12 % de l’énergie de l’entreprise va être améliorée pour que sa contribution atteigne 18 à 20 %. Une manière de montrer sa confiance et de lutter contre des contraintes énergétiques et économiques toujours plus fortes.

Surtout, Paul de Montclos n’arrêtera pas de miser sur sa principale richesse, les hommes et les femmes qui ont fait, font et feront toujours Garnier-Thiebaut. Au sein de l’entreprise mais également à l’extérieur. Un lien humain indispensable, renouvelé lors de cette visite de l’AGGH : « Si nous voulons progresser, il est important d’échanger et de se connaître. Nous créons du lien, nous ne sommes pas que dans un rapport mercantile. Nous ne vendons rien aux gouvernantes mais elles ont le pouvoir de dire que ce produit n’est pas à la hauteur et qu’elles n’en veulent plus. Nous sommes là pour trouver des solutions », apprécie-t-il.

Plus qu’une entreprise, Garnier-Thiebaut est le garant d’un savoir-faire presque bicentenaire et d’une certaine idée du luxe. Un luxe exigeant, précis, méthodique mais surtout humain. Le fil n’est pas près de se rompre.

A propos de l'auteur

Journaliste aux multiples atouts et voyageur curieux, Christopher a une grande appétence pour les établissements au raffinement soigné, où s’accordent gastronomie de caractère, service impeccable et élégance sincère. Une plume discrète et gourmande au service d’une certaine idée du luxe.


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