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LEADER – GILLES CRETALLAZ, COO DE DUSIT INTERNATIONAL : « NOUS PRIVILÉGIONS UNE LOGIQUE DE CLUSTER » (Thaïlande)

Le Français à la tête des opérations du groupe thaïlandais porte une expansion internationale stratégique pour développer Dusit de l'Orient vers l'Occident.

LEADER – GILLES CRETALLAZ, COO DE DUSIT INTERNATIONAL : « NOUS PRIVILÉGIONS UNE LOGIQUE DE CLUSTER » (Thaïlande)

Le Français à la tête des opérations du groupe thaïlandais porte une expansion internationale stratégique pour développer Dusit de l'Orient vers l'Occident.

Catégorie : Asie Pacifique - Thaïlande - Économie du secteur - Carrières - Interviews et portraits - Projets hôteliers - Carrière - Interviews - Les Leaders du secteur
Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le 02-05-2025


Gilles Cretallaz COO du groupe Dusit International depuis 2022

Gilles Cretallaz est à la tête des opérations du groupe Dusit International depuis 2022
Crédit photo © Dusit International


La richesse du parcours de Gilles Cretallaz est à l’image de sa passion pour les voyages et la découverte de l’autre. De la Polynésie française à Shanghai, en passant par Bali, Hanoï ou Bangkok, le Chief Operating Officer de Dusit International a construit une carrière ambitieuse, forgée au sein du groupe Accor, qu’il a intégré après ses études au lycée hôtelier Savoie Léman à Thonon-les-Bains, au lycée des métiers de l'hôtellerie et du tourisme d'Occitanie de Toulouse et à l’EHL Hospitality Business School de Lausanne.

C’est en rejoignant Sofitel en Polynésie que ce passionné d’hospitalité fait ses premières armes. Très vite, il expérimente le management d’équipe, confronte la théorie à la réalité du terrain, et découvre à Tahiti, « le paradis sur terre », une terre sur laquelle il se prend encore à rêver d’ouvrir des hôtels. Cette tranche de vie polynésienne formera sa vision du métier.

C’est en Asie que sa carrière prend son envol. D’abord au sein du groupe Accor, où son extraordinaire capacité d’adaptation le propulse plus jeune directeur général du groupe en Asie. Il dirige le légendaire Metropole à Hanoï, ouvre le So Bangkok… Avant d’intégrer le siège régional à Bangkok. Trois décennies plus tard, celui qui a eu « l’honneur d’être un ambassadeur de l’art de vivre à la française » au sein de Sofitel et du groupe Accor, relève un défi audacieux : quitter le confort d’une carrière tracée chez Accor pour intégrer un groupe familial thaïlandais en pleine transformation.

« Je voulais me remettre en question, effacer un peu tout ce que j’avais construit, et redémarrer à zéro », confie-t-il au Journal des Palaces. En 2022, le professionnel est nommé Chief Operating Officer de Dusit International.

À travers ce riche entretien, Gilles Cretallaz revient sur cette transition vers Dusit, son ambition de repositionner le groupe à l’échelle mondiale, sa vision de l’hospitalité de luxe, et nous fait part de ses conseils avisés à destination des jeunes professionnels et talents en quête d’international.

Pourquoi avoir rejoint Dusit International après une carrière si bien tracée chez Accor ? Quelle est votre mission aujourd’hui ?

Ce fut une décision qui m’a surpris moi-même. Je n’avais objectivement aucune raison de quitter Accor d’autant plus que j’envisageais un retour en France au sein du groupe Accor pour des raisons personnelles en 2022. J’avais une très bonne relation avec les dirigeants, un très beau réseau d’hôtels, une belle équipe à Bangkok. Mais au fond de moi, je sentais que c’était le moment de faire autre chose après 33 ans de fidélité.

Je ne voulais pas construire ma vie professionnelle sur une seule expérience. J’avais aussi envie de me remettre en question, d’effacer un peu tout ce que j’avais acquis avec Accor, ou tout le crédit que j’avais construit, pour redémarrer à zéro.

Alors, est-ce que ce fut une bonne décision ? Aujourd’hui, je peux dire que oui, sans aucune hésitation. Mais c’était un pari risqué, nécessaire.

Vous êtes sorti de votre zone de confort…

Complètement. Quand j’ai commencé chez Dusit, les équipes ne me connaissaient pas, les directeurs d’hôtels non plus. Il a fallu prouver mes compétences très vite et surtout faire évoluer la société. Et c’est là que je me suis senti bien : j’ai eu beaucoup d’espace autour de moi, beaucoup de liberté, de confiance.

On a pu bâtir une très belle équipe avec des talents déjà en place, très compétents, mais aussi en opérant des changements. J’ai apporté mes connaissances, une méthodologie et surtout une culture de la performance qui a fait ses preuves après trois ans. Cette liberté de prise de décision, cette possibilité de faire évoluer la société pas seulement en Asie, mais aussi au Moyen-Orient et en Europe, m’a donné une vision plus globale, que je n’avais pas forcément avec Accor, où j’étais plus concentré sur l’Asie du Sud-Est.

Aujourd’hui, j’ai une couverture globale, ce qui me permet de découvrir de nouvelles cultures, de rencontrer de nouvelles personnes, de retrouver un esprit de conquête. Mais en même temps, je suis plus exposé : je prends des décisions, et j’en assume les conséquences. C’est ce qui rend ce métier passionnant. Nous sommes des entrepreneurs. Et aujourd’hui, je me sens véritablement comme tel.

Vous venez d’évoquer une méthodologie que vous avez apportée. Pouvez-vous la détailler ?

La méthodologie, c’est d’abord la gestion des femmes et des hommes dans l’organisation : le mode de fonctionnement, la communication, la gestion des données, l’analyse des KPI, les outils digitaux…

Un élément clé a été la mise en place d’une révolution digitale, notamment dans la communication avec nos clients, via nos applications mobiles ou sur le web. Nous avons également développé toute une structure autour de la « business intelligence », c’est-à-dire la gestion des données et la prise de décision basée sur ces dernières.

Nous avons créé un digital lab, un laboratoire numérique. C’est l’une des premières choses que j’ai faites. Ce lab est composé de jeunes talents, très jeunes – en général, moins de 25 ans – qui ne viennent pas forcément de l’hôtellerie mais qui ont une connaissance poussée du digital, du comportement des jeunes consommateurs, et qui savent comment donner un coup d’énergie à nos marques.

Et ça a porté ses fruits : en deux ans, nous avons quadruplé nos revenus issus des canaux digitaux – réseaux sociaux, distribution digitale… Nous avons multiplié par trois les ventes en direct. Certes, nous partions de très bas, mais la progression est spectaculaire.

Nous avons aussi lancé un nouveau programme de fidélité, il y a trois mois, qui se développe très vite.

Quelles missions concrètes vous ont été confiées à votre arrivée ?

Quand je suis arrivé, Dusit venait de traverser la crise du Covid. Il n’y avait quasiment plus rien en place. C’était comme une start-up. Et c’est ce qui m’a motivé : construire une structure efficace en deux ans. J’ai dit à mes équipes : ce que d’autres font en cinq ou six ans, nous allons le faire en deux ans.

Il y a eu des doutes, des inquiétudes, mais nous y sommes parvenus. Nous avons aujourd’hui une structure opérationnelle, un écosystème digital, un marketing et un commercial qui fonctionnent. Tout n’est pas encore parfait, mais nous sommes capables de faire face à la concurrence.

Notre image était celle d’une société thaïlandaise un peu datée. Nous avons repositionné nos marques pour attirer une nouvelle clientèle.

Ma mission, c’était d’optimiser les résultats. J’ai eu carte blanche – et page blanche – pour y parvenir. J’ai travaillé d’abord sur l’humain : soutenir les directeurs, recruter des talents expérimentés. Puis sur la communication, les KPI, les outils de pilotage. Ensuite le digital, le revenue management, la structure tarifaire.

Et enfin, l’image des marques. Il fallait renforcer le capital de marque. C’est ce que nous avons fait !

De quelle manière avez-vous renforcé ce capital de marque ?

La perception des marques Dusit, surtout auprès d’une nouvelle génération de clients, était celle de marques un peu endormies. Or, ce que nous voulons absolument, c’est renforcer la valeur perçue de nos marques, leur visibilité, leur puissance d’évocation. Nous souhaitons que nos marques soient identifiées, reconnues et valorisées à leur juste niveau, afin que les clients soient naturellement enclins à rester chez nous.

Un travail d’image a été engagé dès la période du Covid, avec une équipe qui avait commencé à reconceptualiser nos marques. Lorsque je suis arrivé, ce processus était déjà bien avancé, les nouvelles identités presque finalisées. Mon rôle a donc été d’optimiser ce travail, de donner vie à ces marques repensées, de valoriser la qualité de nos produits et surtout d’apporter une consistance dans l’expérience client. Il ne s’agit pas seulement d’avoir un bel hôtel ici ou là, mais de garantir une promesse, une signature commune, quel que soit le pays.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la perception des marques Dusit varie énormément selon les marchés. Par exemple, aux Philippines, la brand equity est extrêmement forte. Pourquoi ? Parce que nous avons à Manille un hôtel emblématique, ouvert il y a plus de 30 ans, connu, aimé, presque institutionnalisé. Il incarne la marque à lui seul.

Et dans le cas d’un nouvel hôtel ?

Lorsqu’on ouvre un nouvel hôtel, comme récemment à Nairobi, au Kenya, nous partons d’une feuille blanche. Il faut bâtir la notoriété, convaincre à la fois les clients et les partenaires. C’est aussi pour cette raison que nous évitons d’ouvrir un seul hôtel dans un pays. Nous privilégions une logique de cluster, qui permet de mutualiser les efforts marketing, de renforcer notre connaissance du marché local, et de créer des synergies entre les établissements.

Et c’est là que notre stratégie d’expansion organique prend tout son sens. Les projets viennent souvent à nous. Ce sont des propriétaires qui cherchent une alternative aux grandes chaînes internationales. Ils veulent quelque chose de différent, une relation directe, humaine, personnalisée. Sur certains marchés très concurrentiels, comme Paris ou les États-Unis, où l’on retrouve parfois cinquante hôtels opérant sous la même enseigne, certains propriétaires souhaitent justement sortir de cette logique. Et c’est précisément ce que Dusit leur offre.

Nous avons ouvert nos premiers hôtels en Inde et en Malaisie en décembre, et avant cela, à Athènes il y a un an et demi. Nous nous développons vite, mais avec la volonté de consolider nos bases. Il ne s’agit pas de se disperser. Gérer une multitude de destinations sans cohérence serait contre-productif. L’expansion, oui, mais avec rigueur.

Quelles relations entretenez-vous avec les propriétaires de vos hôtels ?

L’hospitalité et les marques thaïlandaises en général suscitent un intérêt croissant. Pour de nombreux propriétaires, elles représentent une opportunité de se positionner clairement sur des valeurs fortes telles que le bien-être, le raffinement et une sophistication du service unique en son genre.

Chez Dusit, c’est presque une tradition : nous avons des relations très fortes, durables, avec les familles propriétaires de nos hôtels. Elles sont protectrices de leur marque, fières de faire partie de notre univers. En Égypte, au Kenya, à Dubaï… Ces familles se sont un peu « approprié » la marque Dusit, et cela crée un attachement émotionnel extrêmement précieux.

Cela facilite notre travail, bien sûr, mais surtout, cela le rend plus profond, plus humain. C’est aussi pour cela que nous perdons très peu d’hôtels. Nos partenaires sont fidèles, ils nous font confiance, ils nous donnent des opportunités de développement.

Notre hôtel à Athènes en est l’illustration parfaite. Le propriétaire est aussi celui du Dusit Thani LakeView au Caire. Cette croissance organique, fondée sur la qualité de la relation, est la meilleure forme de développement à mes yeux. Elle repose sur la confiance, l’engagement, une vision partagée.

La France fait désormais partie de cette stratégie d’expansion. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Nous venons tout juste de signer une joint-venture avec un groupe français, SYDEL, basé à Paris. C’est un family office actif dans l’immobilier et le monde médical. Cette nouvelle structure va nous permettre de développer et gérer des hôtels Dusit en France.

Nous avons déjà quelques projets en discussion, notamment autour de châteaux à rénover, à la recherche d’une marque différenciante. Notre ambition est de développer une dizaine d’hôtels en France dans les cinq prochaines années.

La plupart seront opérés sous Dusit Collection, notre marque dédiée aux hôtels de caractère – des demeures historiques, des lieux patrimoniaux – positionnés 4 à 5 étoiles. C’est une marque encore jeune, qui pourrait se comparer à Relais & Châteaux dans son esprit, avec une forte dimension d’authenticité et d’ancrage local.

En tant que Français à la tête des opérations d’un groupe familial thaïlandais, comment vivez-vous cette position ?

Ce qui est important dans le monde professionnel, c’est la capacité d’adaptation. J’appelle cela l’esprit caméléon. Il faut s’adapter à son environnement.

Accor, à ses débuts, était aussi un groupe très familial, avec Monsieur Dubrule, Monsieur Pélisson… Puis l’entreprise a évolué, elle s’est transformée en multinationale. Chez Dusit, l’esprit familial est resté très fort.

Par exemple, le fils de la fondatrice, qui gère le développement, fait partie de mon équipe. Nous avons une excellente relation. Il n’y a pas de hiérarchie familiale contraignante. Ma CEO n’est pas issue de la famille : elle est Thaïlandaise, a un parcours chez IBM, a dirigé une société de satellites…

Je ne ressens aucune pression liée à la structure familiale. Au contraire, j’en perçois les avantages : des valeurs fortes, une relation intime avec les propriétaires. C’est très précieux.

Vous vivez en Thaïlande depuis longtemps. Qu’est-ce qui vous séduit le plus dans ce pays ?

J’y vis depuis plus de vingt ans. Bangkok est une ville que j’apprécie énormément. C’est un mélange d’Asie traditionnelle et de modernité, avec une grande ouverture culturelle, une gastronomie incroyable.

Mais surtout, il y a un sentiment de paix. Les gens sont respectueux, il y a très peu d’agressivité. On se sent bien. C’est un endroit où il est possible d’avoir une vie équilibrée : se relaxer le week-end et être très performant en semaine.

Aujourd’hui, j’ai la chance de contribuer au rayonnement de l’hospitalité thaïlandaise à l’international. C’est une véritable fierté pour moi, car la Thaïlande est mon pays d’adoption depuis plus de vingt ans. Pouvoir soutenir ce pays qui m’a tant apporté me semble tout naturel.

Quel conseil donneriez-vous à un professionnel de l’hôtellerie souhaitant venir travailler en Thaïlande ?

Premièrement : ne pas se fier aux apparences. C’est un pays paisible, mais très exigeant professionnellement. Il faut performer.

Deuxièmement, il faut avoir une vraie valeur ajoutée. Les talents locaux sont nombreux et bien formés – notamment grâce au Dusit Thani College, notre école hôtelière qui forme 5 000 étudiants.

Troisièmement, il est indispensable d’avoir un sponsor pour obtenir un visa de travail. Et le sponsor doit justifier que vous apportez des compétences que les locaux ne possèdent pas.

Enfin, il faut être mobile. La Thaïlande est une excellente base, mais il ne faut pas y rester trop longtemps. Il faut évoluer, bouger, éviter de se cantonner à une seule destination.

Et pour un jeune souhaitant faire carrière dans l’hôtellerie de luxe ?

Il faut maîtriser les fondamentaux, car chaque détail compte dans le luxe. Avoir un œil aiguisé. Être attentif à tout.

Sortir de sa zone de confort est fondamental. Une expérience internationale, c’est une vraie valeur ajoutée. Il faut aussi faire preuve d’empathie, comprendre les besoins des clients. Le luxe, c’est créer des expériences uniques et mémorables.

Il faut rester humble, curieux, se remettre en question en permanence. Un diplôme, c’est une clé pour ouvrir une porte. Mais ce n’est que le début. Le terrain est le vrai révélateur de talent.

Et oui, je recommande vivement l’alternance et les stages à l’étranger. Mais les stages doivent durer au moins six mois pour être vraiment utiles – il faut un vrai équilibre entre ce que la société attend du stagiaire, et ce que le stagiaire attend de l’entreprise.

Comment percevez-vous les candidatures françaises dans vos hôtels à l’étranger ?

La nationalité importe peu. Ce qui compte, c’est l’expérience, la formation, mais surtout la passion. La passion de faire plaisir, l’envie de servir.

Évidemment, les profils français sont souvent associés à une culture culinaire, un sens du service, une créativité appréciée. Mais ce n’est pas cela qui fait la différence à mes yeux. Ce qui compte, c’est l’énergie, l’enthousiasme, la volonté de faire évoluer les choses.

Et quand je parle d’éducation, je parle de formation – pas d’éducation au sens parental. Le cursus, les stages, l’école hôtelière sont un bon point de départ. Mais ce qui compte, c’est ce qu’on en fait.

dusit thani bangkok extérieur de nuit

Le Dusit Thani Bangkok est l’hôtel le plus emblématique du groupe Dusit International
Crédit photo © Dusit International




La piscine du Dusit Thani Bangkok offre une vue spectaculaire sur la capitale thaïlandaise
Crédit photo © Dusit International



Les chambres du Dusit Thani Bangkok conjuguent avec élégance design et confort premium, comme ici avec la chambre deluxe
Crédit photo © Dusit International



L’hôtel cultive une ambiance feutrée, parfaitement incarnée au Wine Bar at Cannubi by Umberto Bombana
Crédit photo © Dusit International



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À propos de l'auteur

Journaliste experte de l’hôtellerie de luxe et inspirée par les femmes et les hommes qui l'incarnent, Vanessa aspire à valoriser et sublimer la beauté et l’élégance des palaces à travers ses écrits. “Dans un palace, la simplicité sert la quête de l’excellence” admire-t-elle.

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