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INTERVIEW – BÉNÉDICTE ÉPINAY, DÉLÉGUÉE GÉNÉRALE DU COMITÉ COLBERT : « L'EXCELLENCE AUJOURD'HUI NE PEUT EXISTER SANS INNOVATION RESPONSABLE » (France)

Sous l'impulsion de sa déléguée générale, l'emblématique Comité œuvre à préserver l'excellence du luxe français tout en renforçant l'attractivité des métiers qui le font vivre.

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Interview de Vanessa Guerrier-Buisine le jeudi 25 septembre 2025


Bénédicte Épinay, déléguée générale du Comité Colbert

Bénédicte Épinay, déléguée générale du Comité Colbert
Crédit photo © David Atlan


Depuis sa création en 1954 par Jean-Jacques Guerlain, le Comité Colbert incarne la voix du luxe français. Il réunit aujourd’hui plus d’une centaine de maisons de luxe et d’institutions moteurs de l’excellence française. Cette association promeut ainsi l’art de vivre à la française, entre transmission du savoir-faire, innovation respectueuse et rayonnement international.

À la tête de cette institution, Bénédicte Épinay en est la déléguée générale depuis 2020. Durant toute sa carrière de journaliste, qui l’a menée de la rédaction du Figaro aux sommets du groupe Les Échos – Le Parisien, elle a fait de l’humain et du collectif les piliers de son engagement. Elle veille aujourd’hui à accompagner les membres du Comité dans leurs mutations.

Parmi les maisons d’hospitalité membres du Comité, plusieurs fleurons de l’hôtellerie de luxe française participent activement à cette dynamique, parmi lesquelles le Plaza Athénée, Le Meurice, Le Bristol ou le Four Seasons George V, tout comme le Ritz Paris, Cheval Blanc Courchevel, Airelles Courchevel ou encore les Prés d’Eugénie. Toutes cultivent une exigence de raffinement, de service sur mesure et de transmission d’un art de vivre authentique.

Tous les membres du Comité ont en commun le désir de préserver leur ADN, tout en se projetant vers l’avenir. C’est dans ce dialogue entre tradition et modernité que le Comité Colbert inscrit ses missions : favoriser l’attractivité des métiers de première ligne, accompagner les transformations RSE, stimuler la réflexion stratégique autour de l’innovation ou encore porter la voix du luxe français à l’international, comme lors de l’exposition prévue à New York en 2026 pour célébrer les 250 ans de l’amitié franco-américaine.

Bénédicte Épinay livre au Journal des Palaces sa vision de l’excellence contemporaine et du rôle moteur que peuvent jouer les maisons du luxe dans un monde en pleine transition.

Journal des Palaces : Que signifie, selon vous, l’excellence dans le luxe aujourd’hui ? A-t-elle évolué ces dernières années ?

Bénédicte Épinay : Le Comité Colbert a vu le jour en 1954 à l’initiative d’un homme, le parfumeur Jean-Jacques Guerlain, désireux de rassembler les maisons de luxe françaises autour d’un imaginaire et d’un projet communs : celui de la promotion de l’excellence du luxe et de l’art de vivre français. L’acte fondateur comporte déjà le souci de la préservation des métiers d’art comme composante essentielle de cette industrie, à la fois son assurance-vie et le gage de son excellence.

Traditionnellement centrée sur cette perfection artisanale et la rareté des matériaux, l’excellence s’est depuis quelques années élargie, incluant aujourd’hui la durabilité et la responsabilité sociale (traçabilité, empreinte carbone, respect des artisans). Elle se nourrit également d’innovation technologique au service du client. Elle intègre enfin une dimension plus culturelle et expérientielle, les produits de luxe devenant des vecteurs d’histoire et d’imaginaire.

Comment concilier excellence, innovation et responsabilité dans les maisons du luxe ?

Ces trois dimensions ne sont pas antagonistes : elles se renforcent même mutuellement. L’excellence aujourd’hui ne peut exister sans innovation responsable, et l’innovation ne peut être légitime que si elle respecte l’héritage et la planète. On oppose souvent à tort luxe et innovation. Pourtant, rarement secteur n’a su autant adopter les nouvelles technologies de son époque pour rester de son temps.

La moitié des maisons du Comité Colbert sont nées au début du XIXᵉ siècle : cela signifie qu’elles ont toutes profité de l’arrivée du train, de la machine à coudre, de l’électricité, du téléphone, de l’ascenseur, de l’automobile et de bien d’autres. Si cela n’avait pas été le cas, vous n’entendriez plus parler d’Hermès, né dans l’univers de l’artisanat équestre ou de Louis Vuitton, qui fut d’abord malletier.

L’excellence peut-elle encore être synonyme de lenteur, de gestes rares, dans un monde qui valorise la rapidité ? Comment le Comité Colbert aide-t-il ses membres à s’adapter sans se perdre ?

Oui, car dans le luxe, la lenteur n’est pas un handicap, mais une valeur ajoutée : elle garantit la précision, l’authenticité et la dimension artistique du geste. Le luxe tire sa force de cette temporalité singulière qui contraste avec l’immédiateté du monde contemporain.

Le Comité Colbert accompagne ses membres en valorisant cet artisanat d’art à travers des évènements en France comme à l’étranger. Nous sommes également acteurs d’un dialogue collectif avec les institutions, pour concilier le temps long de la création et l’exigence d’efficacité économique. Enfin, nos travaux sur l’innovation visent à aider nos membres à se doter des bons outils comme leviers de compétitivité.

Quelles sont les conditions d’entrée au Comité Colbert, pour les hôteliers notamment ? Souhaiteriez-vous que l’ensemble des palaces français soient membres ?

Les mêmes conditions d’entrée s’appliquent à tous nos membres quel que soit leur secteur. Nous avons actuellement plusieurs palaces parisiens parmi nos membres, à l’instar du Plaza Athénée, du Meurice, du Bristol et du Four Seasons George V. Nous avons également trois palaces en province, Cheval Blanc Courchevel, les Airelles Courchevel et les Prés d’Eugénie. S’y ajoutent deux établissements prestigieux qui n’ont pas le label Palace, le Ritz Paris et l’Oustau de Baumanière.

Nous n’avons pas l’objectif d’intégrer tous les palaces, tout comme nous n’avons pas tous les champagnes ni tous les joailliers. Devenir membre du Comité Colbert est exigeant. Cela signifie également qu’une démarche d’action collective intéresse les candidats : réfléchir ensemble aux enjeux de demain pour faire perdurer l’esprit du luxe et de l’art de vivre français.

Vous avez mené une étude conjointe sur les talents du retail et de première ligne. Quels axes d’amélioration avez-vous identifiés pour attirer et fidéliser ces talents dans le secteur du luxe ?

Réaliser des études comme celle-ci avec le cabinet MAD est notre manière de nourrir nos maisons en éléments de réflexion autour du défi humain. Les chiffres présentés à cette occasion ont été pires que ceux auxquels nous nous attendions.

Non seulement 60 % de nos maisons nous ont indiqué avoir des difficultés à recruter sur ces fonctions de première ligne, mais 93 % peinent aussi à pourvoir les postes de direction sur le terrain. Elles sont même 67% à penser que la situation, loin de s’arranger, va se détériorer. Parmi les pistes évoquées : l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la gestion RH pourrait changer la donne. Si 87% de nos maisons ne l’utilisent pas, 77% prévoient de le faire sous trois ans.

Comment accompagnez-vous vos membres dans la valorisation et la fidélisation de ces talents de première ligne, si essentiels à l’expérience client ?

Le Comité Colbert n’a pas vocation, en tant qu’association reconnue d’intérêt général, à se substituer à nos maisons s’agissant de décisions stratégiques telles que la gestion de leurs RH.

En revanche, la tenue dans quelques jours, du 2 au 5 octobre au Grand Palais, de la cinquième édition de notre évènement gratuit d’orientation professionnel, les Deux mains du luxe, est une aide précieuse pour attirer de nouveaux talents vers nos maisons. Pendant quatre jours, 32 maisons membres du Comité Colbert dont le Ritz Paris et 20 écoles de la voie professionnelle vont permettre aux jeunes et aux adultes en reconversion de se familiariser avec nos métiers. L’entrée est gratuite sur inscription : www.lesdeuxmainsduluxe.com.

Comment les maisons membres peuvent-elles renforcer leur attractivité en prenant soin du bien-être de leurs équipes ?

La vie professionnelle n’est plus un long fleuve tranquille. L’attractivité des entreprises est devenue clé depuis la fin de la pandémie. Partout, le turnover est important. Les salaires, l’équilibre de vie pro-perso, le parcours en entreprise : sur tous ces points, toutes les maisons, singulièrement nos membres de l’univers de l’hospitalité et de la restauration, ont fait des progrès considérables pour coller aux envies d’une génération plus volatile. Les chiffres de France Travail donnent à réfléchir. Ils montrent que la durée moyenne au même poste est d’environ 5 ans et que les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront 13 à 15 fois d’emploi au cours de leur vie.

Pendant longtemps, l’attractivité du luxe a reposé autant sur la fierté d’appartenance que sur la qualité de vie au travail. Il faut retrouver ce pouvoir d’attraction en valorisant le sens des métiers, en développant des politiques de formation et de reconnaissance pour fidéliser les talents, en offrant des conditions de travail favorisant l’équilibre de vie, en cultivant la diversité et l’inclusion, comme autant de gages de créativité et de modernité, enfin, en mettant en avant l’engagement responsable souvent recherché par les plus jeunes.

Selon vous, quels sont les principaux défis que l’hospitalité de luxe française devra relever dans les prochaines années ?

Le défi numéro un reste selon moi le recrutement et la fidélisation des talents pour faire face à une clientèle toujours plus exigeante en termes d’expériences, de personnalisation, d’émotion et d’authenticité.

L’hospitalité va également devoir intégrer les outils technologiques (IA, data, hospitalité augmentée) sans dénaturer l’hospitalité humaine et l’art de recevoir à la française. Enfin, les maisons doivent montrer leur prise en compte des enjeux de développement durable tout en maintenant des standards d’excellence.

Quels sont les projets du Comité Colbert à moyen terme ?

Deux études sont à venir. En septembre, le quatrième chapitre de notre réflexion sur le luxe et la technologie avec le cabinet Bain portera sur les investissements technologiques nécessaires pour accompagner la transformation du secteur.

Puis, en novembre, nous publierons pour la première fois avec MAD un rapport RSE faisant la synthèse des rapports extra financiers dits CSRD publiés avant l’été par nos maisons. Une manière de mieux comprendre les engagements de nos membres en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Par ailleurs, nous travaillons sur un projet d’exposition l’an prochain à New York à l’occasion de la célébration diplomatique des 250 ans d’amitié franco-américaine. Notre exposition au Shed révélera l’histoire américaine secrète de nos maisons.


À propos de l'auteur

Journaliste experte de l’hôtellerie de luxe et inspirée par les femmes et les hommes qui l'incarnent, Vanessa aspire à valoriser et sublimer la beauté et l’élégance des palaces à travers ses écrits. “Dans un palace, la simplicité sert la quête de l’excellence” admire-t-elle.

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